Retour aux articles

La semaine du droit pénal spécial

Pénal - Droit pénal spécial
14/09/2020
Présentation des dispositifs des arrêts publiés au Bulletin criminel de la Cour de cassation, en droit pénal spécial, la semaine du 7 septembre 2020.
Délit d’organisation frauduleuse d’insolvabilité – caractérisation
« M. A... X... a été poursuivi devant le tribunal correctionnel du chef susvisé.
Il lui est reproché d’avoir, en vue de se soustraire à l’exécution du jugement de divorce rendu le 27 septembre 2010 par le juge aux affaires familiales le condamnant à verser à son ex-épouse, Mme B... Y..., la somme de 80 000 euros à titre de prestation compensatoire, organisé ou aggravé son insolvabilité.
Par jugement du 30 janvier 2017, le prévenu a été déclaré coupable des faits qui lui sont reprochés et condamné à 5 000 euros d’amende. Le tribunal a par ailleurs statué sur les intérêts civils.
Le conseil du prévenu, puis le ministère public, ont relevé appel de la décision.
 
Vu l’article 314-7 du Code pénal :
Il résulte de ce texte que le délit d’organisation frauduleuse d’insolvabilité n’est caractérisé que lorsque les actes poursuivis ont pour objet ou effet d’organiser ou d’aggraver l’insolvabilité de leur auteur.
Pour confirmer le jugement attaqué sur la culpabilité, l’arrêt retient notamment que le prévenu a omis de déclarer au notaire désigné pour établir le projet d’état liquidatif du régime matrimonial le compte-courant n° [...] ouvert au CCSO le 28 février 1995, qui était créditeur de 47 502,83 euros au 13 novembre 2007, date de l’ordonnance de non conciliation.
Les juges ajoutent que, dans le projet d’état liquidatif établi le 23 mars 2011, le notaire a mentionné un bateau Cap Camarat évalué à la somme de 75 000 euros seulement, soit 15 000 euros de moins que le prix fixé pour la vente de mai 2009.
Ils en concluent que ces éléments suffisent à caractériser la volonté du prévenu de dissimuler certains de ses biens et de diminuer certains actifs de son patrimoine, aux fins de se soustraire, au préjudice de la partie civile, aux obligations et conséquences financières découlant de la décision prononcée par le juge aux affaires familiales, l’intention coupable du prévenu résultant, en l’espèce, de la chronologie des faits comme de la pratique de ventes fictives ou d’omettre de déclarer un compte créditeur.
En se déterminant ainsi, alors que le silence gardé par une personne sur un élément d’actif de son patrimoine ou la minoration de son évaluation est sans effet sur la solvabilité et ne peut en conséquence caractériser le délit, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
La cassation des dispositions de l’arrêt ayant déclaré le prévenu coupable d’organisation frauduleuse d’insolvabilité entraîne celle des dispositions relatives aux peines sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen proposé ».
Cass. crim., 9 sept. 2020, n° 19-84.295, P+B+I *
 
 
Confiscation – immeubles – époux – régime de la communauté légale
« Par arrêt du 22 juin 2017, la cour d’appel de Rennes a déclaré M. B... Y... coupable d’abus de confiance et, notamment, a ordonné la confiscation à titre de produit indirect de l’infraction d’un appartement situé à Rennes (35), ainsi que d’une maison d’habitation située à Vern-sur-Seiche (35), appartenant au condamné et à Mme X..., mariés sous le régime de la communauté légale.
Par requête enregistrée au greffe de la cour d’appel le 5 mars 2018, l’avocat de Mme X... a demandé à la cour d’appel de rectifier l’arrêt du 22 juin 2017 en précisant que la confiscation ne portait que sur la seule part indivise des immeubles appartenant au condamné, la requérante, non poursuivie pénalement, étant de bonne foi.
 
Vu les articles 131-21 du Code pénal, 1417, 1441 et 1467 du Code civil :
Selon l’article 131-21, alinéa 1er, du Code pénal, la peine complémentaire de confiscation est encourue dans les cas prévus par la loi ou le règlement.
La Cour de cassation juge qu’elle réserve cependant les droits des propriétaires de bonne foi, même lorsque le bien constitue le produit direct ou indirect de l’infraction (Crim., 7 novembre 2018, pourvoi n° 17-87.424, Bull. crim. 2018, n° 188).
Lorsque le bien confisqué constitue un bien indivis appartenant à la personne condamnée et à un tiers, ce bien est dévolu en situation d’indivision à l’Etat, de sorte que les droits du tiers de bonne foi sont préservés (Crim., 3 novembre 2016, pourvoi n° 15-85.751, Bull. crim. 2016, n° 289).
Lorsque le bien confisqué constitue un bien commun à la personne condamnée et à son conjoint, la situation présente une spécificité tenant à ce qu’en application de l’article 1413 du Code civil, le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs, à moins qu’il n’y ait eu fraude de l’époux débiteur et mauvaise foi du créancier, sauf la récompense due à la communauté s’il y a lieu. Il en est ainsi des dettes nées d’une infraction commise par un époux seul.
Il résulte par ailleurs des articles 1441 et 1467 du Code civil que, lorsque des époux sont mariés sous le régime de la communauté légale, il n’y a lieu à liquidation de la masse commune, laquelle a pour finalité la fixation des droits des époux dans celle-ci, qu’après dissolution de la communauté, et que le législateur, qui a limitativement énuméré les motifs de dissolution, n’a pas prévu de cause de dissolution partielle.
Il s’en déduit que la confiscation d’un bien commun prononcée en répression d’une infraction commise par l’un des époux ne peut qu’emporter sa dévolution pour le tout à l’Etat, sans qu’il demeure grevé des droits de l’époux non condamné pénalement, y compris lorsque ce dernier est de bonne foi.
Cette dévolution ne méconnaît pas les droits de l’époux non condamné pénalement, dès lors que la confiscation, qui constitue une pénalité évaluable en argent, est susceptible de faire naître un droit à récompense pour la communauté lors de la dissolution de celle-ci, déduction faite du profit retiré par elle, en application de l’article 1417 du Code civil, au même titre qu’une amende encourue par un seul époux et payée par la communauté.
Il n’y a pas lieu de transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne, contrairement à ce qui est soutenu au mémoire en défense, dès lors que l’époux non condamné pénalement, qui est titulaire de droits sur l’éventuel avantage économique tiré de l’infraction commise par son conjoint par le seul effet du régime matrimonial, et n’a donc pas acquis, ni ne s’est vu transférer, directement ou indirectement, ce produit, n’est pas un tiers au sens de l’article 6 de la directive 2014/42/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014, lequel n’est donc pas applicable.
Pour faire droit à la requête en décidant que la confiscation porterait sur la seule quote-part indivise de M. Y... et ordonner la restitution à Mme X... de ses droits indivis, l’arrêt retient notamment que les époux, mariés depuis le 11 juillet 1987, sont, en l’absence de contrat de mariage, soumis au régime légal de la communauté réduite aux acquêts et, qu’au vu des actes authentiques produits, les deux biens immobiliers objet de la peine de confiscation prononcée ont été acquis par eux postérieurement à leur mariage, en sorte qu’ils constituent des biens communs.
Les juges ajoutent que la communauté est un type d’indivision patrimoniale dans le cadre duquel, sauf récompenses issues d’opérations de compte et liquidation de leurs intérêts patrimoniaux, les biens communs appartiennent aux époux à parts égales, tandis que dans l’indivision au sens du Code civil, les parts peuvent être inégales.
Ils constatent par ailleurs que Mme X... est de bonne foi, dès lors que son époux a toujours soutenu qu’elle n’était pas au courant des détournements d’argent par lui commis au préjudice de son employeur, qu’il n’a pu être établi que Mme X... avait profité en connaissance de cause de l’argent et des biens acquis frauduleusement avec les sommes détournées, au regard de la profession de comptable exercée par son époux et du peu d’immixtion de l’intéressée dans la gestion du budget du ménage et de la constitution des dossiers de prêt, qu’en l’absence d’indices graves ou concordants existant à son encontre, Mme X... n’a d’ailleurs pas été mise en examen du chef de recel d’abus de confiance et qu’enfin elle a bénéficié d’une décision de non-lieu par ordonnance de règlement conforme du juge d’instruction en date du 22 avril 2015.
En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que les immeubles confisqués constituaient des biens communs, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
N’impliquant pas qu’il soit à nouveau statué, la cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d’appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige ainsi que le permet l’article L. 411-3 du Code de l’organisation judiciaire ».
Cass. crim., 9 sept. 2020, n° 18-84.619, P+B+I *
 
 
*Le lien vers la référence documentaire sera actif à partir du 14 octobre 2020
 
Source : Actualités du droit